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Sémaphore,
c'est 20 ans de ma vie.
Je vais tenter d’être brève.

Allocution de Lise Demers

Le premier livre publié chez Sémaphore, Le poids des choses ordinaires témoigne de ma vision de la littérature.

Mission éditoriale

En résumé, 3 critères balisent la mission éditoriale de la maison, depuis ses débuts.

  1. Nous publions des textes littéraires à caractère social, politique, éthique ou philosophique présentés sous différents genres. Cela englobe la fiction: romans, nouvelles, science-fiction, polar, suspense ou satire et des textes de non fiction (essais, récits ou notes). À ceci s’ajoute la poésie, notamment avec l’œuvre de Gilles Hénault dont je suis dépositaire depuis 1996.
  2. Des textes qui ne font pas la morale, qui ne donnent pas de leçon et qui ne reprennent pas le ton des cours magistraux
  3. Textes qui ont du style, un rythme, une cadence soutenue et un français de grande qualité. Évidemment, j’ai l’air d’être juge et partie (et je l’assume).

SUJETS ou thèmes

Aucun sujet ne nous est étranger (pour paraphraser Camus) et je pourrais démontrer en quoi chaque publication correspond à notre mission éditoriale.
Mais je vais me limiter.

Des sujets tabous:
  • Les jérémiades de Simon Boulerice : identité sexuelle d’un jeune de 9 ans qui découvre l’amour avec un adolescent de 15 ans.
  • Le récital des décadents de David Hébert : outrance, démesure et folie comme gages d’une expression artistique authentique.
Sujets connus

Déjà traités mais présentés sous un angle différent, comme un angle mort, de manière à faire voir d’autres aspects d’une réalité et de sortir des sentiers battus. Le sensationnalisme ne nous intéresse pas.

  • Bonsoir la muette et Ressacs de France Marineau : sur l’inceste, la maltraitance. Le premier interroge la mémoire des événements et traite surtout du père. Le deuxième s’intéresse à la relation avec la mère, afin de discerner son rôle dans ces situations.
  • Terminus de Nathalie Lagacé : la vision de la société à travers les yeux d’une chauffeuse d’autobus
  • Ludo de Patrick Straehl : à partir d’un atroce fait divers, l’auteur raconte l’aveu d’une jeune fille qui s’accuse d’avoir tué son frère en pleine canicule.
  • Débâcles de Marie-Pier Poulin : revendications des droits ancestraux au moment de la construction de la Baie-James. Questions identitaires, au Sud et au Nord.
  • La renaissance de l’Interlope de François Bellemare : une satire démontrant que devant tout interdit se trouve une voie d’évitement ou de contournement.
Des sujets inédits qui nous sortent de notre nombril et de notre ordinaire.
  • On les disait terroristes sous l’occupation du Liban-Sud de Josée Lambert : publication en 3 langues et galerie de photos. La pièce de théâtre, Diane et Jean, a permis à Wajdi Mouawad de connaître cette réalité de son pays et d’écrire Incendies, œuvre qui a débouché sur le film du même nom de Denis Villeneuve.
  • Reportages sous influence et Libre-échange d’Éric de Belleval : des romans politiques. L’un traite du rôle des pétrolières durant la guerre civile en Ouganda et l’autre, des entourloupettes des compagnies canadiennes pour faire main basse sur les mines au Venezuela.

Et puis, ces 3 recueils de nouvelles:

En parallèle, en tant que dépositaire de l’œuvre de Gilles Hénault, Sémaphore rend disponible l’ensemble de ses textes. Nous avons 4 publications à ce jour :

  • Signaux pour les voyants Poèmes 1937-1993, son anthologie de poésie;
  • Graffiti, des textes en prose et des aphorismes qu’il nommait graffiti;
  • Interventions critiques, un ensemble de textes rassemblés sous la gouverne de Karim Larose de l’université de Montréal et qui retracent l’histoire de l’évolution des idées et des débats culturels ou sociaux au Québec;
  • Regard sur l’art d’avantgarde, qui regroupe des textes de Hénault sur l’art et qui démontre à merveille qu’avant tout le monde, Hénault savait déceler ce qui allait devenir majeur au plan artistique.
    De plus, il y a la traduction de Sans parachute de David Fennario, un dramaturge bien connu au Québec.

LE FONCTIONNEMENT DE SÉMAPHORE

Nous publions peu de titres par année. Aujourd’hui, si je peux fêter nos 20 ans, c’est qu’au départ j’ai eu l’appui d’une bande d’amies exceptionnelles qui me faisaient confiance.

Tout d’abord, je dois souligner le travail graphique de Marie-Josée Morin. C’est à elle que je dois ce carré de couleurs aux contours échancrés qui est vite devenue notre signature visuelle. Marie-Josée n’avait pas la tâche facile: elle a dû travailler avec une contrainte majeure: faire des couvertures attrayantes imprimées en 2 couleurs seulement, faute de moyens financiers. Même la collection Libre à vous, créée en 2013 pour notre 10e anniversaire, avec le livre Barbelés de Pierre Ouellet, était soumis à cette contrainte.

Pendant près de 9 ans, Sémaphore a assuré sa propre distribution et diffusion. En gros, il fallait intéresser les libraires à mes récentes publications, voir à ce qu’ils aient les livres qu’ils avaient commandés et distribuer aux médias leur service de presse. Sémaphore était présente à travers le Québec, et aussi à Paris.

C’est là que mon équipe d’amies a su bien m’épauler. Avec Michèle Beaulac au volant et aussi Marie-France Dozois, nous préparions un itinéraire pour ne pas perdre de temps.

Durant toutes ces années, j’ai eu de bonnes relations avec la majorité des libraires et constaté comment ils fonctionnaient. Pour les régions éloignées, je faisais des envois par la poste jusqu’au jour où certains libraires m’ont fourni le nom et le numéro de leur fournisseur de messagerie. Une vraie marque de confiance!

Aussi, je participais de façon autonome aux Salons du livre, surtout celui de Montréal. Pour m’aider (et me permettre de manger ou d’aller fumer) Michèle, Marie-France ou Manon Gagnon venaient tenir le stand.

Et puis, j’ai partagé plusieurs années un kiosque avec Andrée Yanacopoulo qui dirigeait alors les éditions L’effet pourpre, (et qui s’excuse de ne pas être des nôtres ce soir) et cela même après être sous la bannière de Dimedia.

L’apport de ces femmes au développement et à la survie de Sémaphore est indéniable et je leur dis un gros merci.

Parlant de développement, il y a quelques moments forts à mentionner:

  1. Le passage à l’impression des couvertures en 4 couleurs. Sous le design graphique de Christine Houde, les couvertures vivement colorées ont donné du Oumf ! à Sémaphore et une plus grande visibilité dans les Salons du livre.
  2. L’essor de notre présence sur les médias sociaux, avec une passionnée de l’Internet, Lyne Roy.
  3. Le document 100 ans 100 regards, sur notre site WEB, durant la pandémie, pour fêter le 100e anniversaire de naissance de Gilles Hénault. Il s’agit de 100 capsules avec la collaboration de plusieurs poètes vivants lisant et témoignant de l’apport de Gilles à leur œuvre et de la compilation de plusieurs documents d’archives retraçant les différents aspects de sa carrière.

    L’organisation et la signature visuelle de la galerie Gilles Hénault est l’œuvre de Christine Houde, les textes liant l’ensemble sont de Tania Viens et de Lyne Roy.

  4. Toujours pendant la pandémie, nous avons créé la collection Mobile destinée au texte que nous jugeons hors norme, hors tendance. Des publications ayant chacune leur format. Par exemple, le très grand Morceaux de mémoire de Mathieu Dubé, ou l’album photo de famille intitulé Nativa, la maîtresse de Camilien de Michèle Laliberté.

Pour terminer, un mot sur notre présence en Europe, surtout à Genève. Il y a 6 ans, au Salon du livre de Genève (j’y étais sous la bannière de Québec édition), j’ai fait la connaissance de Vincent Barbey. Vincent est un historien-professeur féru de l’histoire du Québec.

Lisant quelques livres de Sémaphore il est rapidement tombé dans la marmite. Au fil des ans, il a développé notre présence à Genève, mis plusieurs de nos titres à l’étude, organisé des rencontres avec des étudiants dans l’une ou l’autre école et organisé dans des cafés ou des librairies des tables rondes avec des auteurs de la Suisse romande.

Un réseau s’est développé et nous avons ainsi pu participer aux Salons des petits éditeurs réservés aux éditeurs suisses et, en juin dernier (2022), Jean-Benoit Cloutier-Boucher a été invité aux Estivales du livre à Montreux, avec son livre Boire la mère les yeux ouverts.

Grosso modo, voici comment cela se passe. Au moment du Salon de Genève, les auteurs ont des activités au Salon et hors salon. Par exemple, en mars prochain (2023), Sylvain Larose, l’auteur de Débandé et Jacques Lemaire, celui de Disparaitre rencontreront chacun des élèves de 2 classes différentes ayant lu leur texte dans des cours, soit d’histoire, soit de littérature.

De plus, pour la première fois, la direction de l’école Henri-Dunant a proposé de monter un café-pédago réunissant le personnel enseignant. Au menu: une courte conférence de Sylvain Larose, suivie d’une période de questions et se terminant par des agapes!

Enfin, les auteurs participeront à des tables rondes avec des écrivains suisses dans une librairie à Genève et une autre à Lausanne.

À l’heure actuelle, 13 auteurs ont vu leurs œuvres étudiées à Genève et Vincent me demande d’annoncer à Karine Geoffrion que son roman La valse vient d’être remis à l’étude pour une 2e année.

Voilà donc un résumé de Sémaphore.

Maintenant, je vais vous parler de Philippe Haeck et de son livre Nos sommes des énigmes.

Philippe n’est pas un inconnu aux Éditions Sémaphore, pour avoir signé la postface de Poèmes 1937-1993 de Gilles Hénaulten 2006 puis la préface de l’anthologie de Gilles Signaux pour les voyants Poèmes 1937-1993 parue en 2020.

Pour la petite histoire, voici les grandes lignes stockées dans ma mémoire. Dans les années 1980 (il y a donc 40 ans) j’ai commencé une étude sur Gilles Hénault et lu Naissances de la littérature québécoise de Philippe. Déjà, il se démarquait par son style et, disons-le, sa manière de planter la littérature.

Les années ont passé et près de 15 ans plus tard, en 1995, en recevant le numéro consacré à Gilles dans la revue Voix et Images préparé sous la direction de Paul Chamberland, j’ai pris conscience de l’importance de Gilles dans la vie et l’œuvre de Philippe, ou dit autrement, de l’importance qu’accordait Philippe à l’œuvre de Gilles dans sa vie. Aussi, c’est tout naturellement qu’après avoir récupéré les droits de Gilles pour préparer une nouvelle anthologie, j’ai fait appel à Philippe qui a accepté de lire et relire les textes poèmes inédits et de collaborer à la préparation d’une nouvelle anthologie.

La surprise que j’ai eue en 1995 est égale à la discrétion de Gilles. Quiconque l’a un tant soit peu fréquenté peut affirmer qu’il parlait rarement d’une personne. Il pouvait parler d’un livre, mais jamais de l’auteur en question, en bien ou en mal. Et jamais on l’aurait entendu se vanter d’être important pour un tel ou une telle.

Fin de la petite histoire. Nous voici maintenant devant Nos sommes des énigmes, que nous lançons ce soir.

Ces notes sont le 2e ouvrage de la trilogie que prépare Philippe. Elles font suite à Il y a tant d’il y a, paru aux Herbes rouges en 2018. Cependant, ces 2 livres sont autonomes, malgré leurs points communs:

Tous deux fourmillent de références littéraires, artistiques, musicales et plongent dans le quotidien de Philippe, avec ses joies et ses angoisses.

Malgré les centaines de citations d’auteurs dont plus de la moitié me sont inconnus, jamais je ne ressens mon inculture, jamais je me trouve niaiseuse ne de pas avoir lu, écouté ou vu telle œuvre. Si je dis auteurs inconnus, c’est que Philippe lit tout, et des milliers de livres parcourent sa recherche incessante de fruits à manger pour ne pas mourir.

Par contre, selon ce qu’il dit et cite, je me sens appelée à fouiller davantage un auteur. À aller à la rencontre ou à faire connaissance d’un autre compagnon de Philippe. Car c’est bien de cela qu’il s’agit: les auteurs qu’il cite sont des amis qui l’aident à vivre et, de ce fait, il n’y a pas chez Philippe d’éloges grandiloquents ou de soumissions, de restrictions aux seuls auteurs dits classiques mais une immense ouverture à l’œuvre d’autrui en une forme de partage et d’égalité.

Nos sommes des énigmes touche à tous les sujets et s’avère un formidable exemple d’une écriture intimiste qui débouche sur l’universel et sur l’essentiel. De quoi parle Philippe? En gros, car il ne s’agit pas ici de faire l’analyse de son texte, de sa soif de bonté, de la beauté des êtres vivants, de sa quiétude, de son immense appétit de vivre, de son amour de la vie. Famille, femme, sexualité, amour, bonheurs simples, comme de voir le ciel bleu ou un églantier en fleurs, occupent une part importante de sa vie.

Mais Philippe n’est pas déconnecté de la réalité et la violence, la guerre, la douleur ou la méchanceté humaine passent sous son scalpel, car ils détruisent la vie.

Philippe vit par et avec la littérature. Il écrit qu’il picore un peu partout ce qui le nourrit.

Dans Nos sommes des énigmes, Philippe dit simplement ce qu’il pense, ce qu’il aime ou ressent ou l’inquiète, sans de longs argumentaires ni de justifications.

Avec son style unique, on pourrait dire de la prose poétique, avec sa façon de jumeler des mots, par exemples des livres-souffles, des phrases-talismans, des individus-idées versus des individus-gestes, Philippe délie notre imaginaire et nous mène à voir au-delà des apparences.

Le concept de livre-souffle est essentiel dans son œuvre. Ce sont ces livres qui le nourrissent, qui le touchent et l’aident à comprendre qui il est et de quoi il est fait.

Si Philippe est lui-même une énigme, peut-être une des clefs pour le déchiffrer se trouve ici, page 174. Il cite un extrait de Homo sapienne de Niviaq Korneliussen, une écrivaine inuit du Groenland.

« Dans ma jeunesse, j’ai cherché en vain un livre qui me parle, qui raconte ce que moi et mes amis vivions et les questions qui nous préoccupaient. Je n’ai jamais trouvé ce livre. Je crois que c’est ce que j’ai voulu écrire, ce livre que je n’ai jamais pu lire.»

et Philippe de dire: «Qui d’autre que moi aurait pu écrire mes livres, pourtant chaque livre-souffle raconte une partie de ma vie.»

En résumé, lire Nos sommes des énigmess, c’est lire une ode à la vie, à la beauté de la vie, à la nécessité de la contempler et de la préserver, sous toutes ses coutures.

Merci Phillipe de ce beau cadeau.

Nous voici rendus à la fin et je tiens à réitérer mes remerciements.

L’édition est un travail d’équipe. Tantôt, j’ai mentionné des noms, maintenant, il est temps de vous présenter celles qui font aujourd’hui de Sémaphore une maison d’édition solide axée sur l’avenir et de les remercier.

Tania Viens: directrice littéraire (avec qui je travaille depuis 12 ans) dont tous les auteurs saluent à la fois sa rigueur et son respect du texte.

Christine Houde: designer graphique depuis 6 ans chez Sémaphore, dont les créations sont remarquées partout où nos livres ou nos publicités sont exposés.

Lyne Roy: responsable des médias sociaux depuis près de 5 ans (à vrai dire, elle en mange) et qui grâce à l’image dynamique et sobre qu’elle donne de Sémaphore contribue à notre présence très visible sur Internet.

Annie Cloutier: déménagée dans le Bas-du fleuve, dont la lecture de textes et d’épreuves nous est essentielle.

Les membres anonymes du comité de lecture qui aide à trancher le pour et le contre.

Enfin, soulignons le dessin de hibou de Stella, la petite-fille de Philippe, sur la couverture du livre. Son hibou tout coloré est devenu, parce que dans la collection Libre à vous, cet hibou-vert qui regarde droit devant lui, la nuit. J’oserais dire, le portrait de son grand-père.

Enfin, un grand merci aux autrices et auteurs qui nous ont fait confiance au cours de ces 20 ans. Plusieurs sont ici ce soir, et beaucoup sont disséminés à travers le Québec ou à l’extérieur du pays.

Et merci à vous tous, de votre présence et de votre encouragement.

Montréal, 9 février 2023.